Le Choix d’édifices publics construits et projetés en France et l’émergence d’une typologie d’architecture publique, 1795-1850
En dépit de son importance, le Choix d’édifices publics et construits et projetés en France n’a jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble. Le projet éditorial de ce recueil ainsi que son impact sur la production architecturale de la première moitié du XIX^e^ siècle restent largement méconnus. Tout au plus a-t-il été ponctuellement mobilisé par les historiens qui y ont puisé (de manière commode) des illustrations ou des exemples sur l’architecture de la période (Hautecœur 1963-67 ; Mignot 1983 ; Loyer 1999 ; Andrieux 2009). Nous nous proposons de considérer cet objet éditorial dans toutes ses dimensions — historiques, matérielles, et intellectuelles — afin de restituer la portée de ce recueil essentiel pour l’histoire de l’architecture du XIX^e^ siècle à travers une édition critique numérique.
L’ouvrage témoigne et accompagne l’émergence d’une nouvelle typologie de l’architecture publique. Nous voulons montrer comment celui-ci s’inscrit dans le contexte de la politique conduite par l’administration des Bâtiments civils pour rénover la pratique architecturale et doter la France d’établissements publics. En outre, l’étude de ce recueil offre l’occasion exceptionnelle de pouvoir travailler sur la formation des types architecturaux à partir d’une collection de cas bien délimités qui peuvent être interprétés dans le cadre d’un projet éditorial cohérent. C’est donc une étape fondamentale et nécessaire dans un projet plus général d’histoire de l’architecture publique de 1750 à 1850 que nous souhaitons conduire dans les années à venir.
Publié en trois grands volumes in-folio, à compte d’auteur, par des membres du Conseil des bâtiments civils, de 1825 à 1850, le Choix d’édifices publics construits et projetés en France offre un panorama rétrospectif sur la production architecturale publique française, depuis la création de l’administration des Bâtiments civils jusqu’au milieu du siècle. Tel qu’il était présenté par ses auteurs, l’ouvrage était destiné, au premier chef, aux architectes et aux administrateurs et il était conçu dans l’intention d’améliorer la qualité des projets présentés au Conseil des bâtiments civils. Bien que d’initiative privée, la publication paraît donc directement prolonger l’action de l’administration.
L’historiographie a souvent considéré que le Conseil des bâtiments civils fut à l’origine d’une normalisation de l’architecture publique (Teyssot 1978, 1982, 1987 ; Boudon 1996 ; Loyer1999 ; Château-Dutier 2016). Pourtant, mis à part les plans types de prisons publiés sous l’égide du ministère de l’Intérieur, les Bâtiments civils n’ont jamais diffusé de modèles avant 1855 (Foucart 1976, 1981 ; Leniaud 1981 ; Gastaldi & Convers 2004 ; Sopelsa 2016). Le contrôle des projets s’opérait plutôt au cas par cas, dans le cadre de l’examen au Conseil. Néanmoins, cette collection d’édifices constitue de toute évidence un recueil de solutions acceptables pour l’administration.
La présentation retenue pour ce recueil est une présentation typologique. Celui-ci est organisé en dix sections : édifices religieux, administratifs, judiciaires, d’instruction publique, sanitaires, d’utilité et de sûreté publique, Monuments publics et funéraires, et édifices mixtes. Le texte des notices reste peu développé, il est généralement centré sur des données objectives de la réalisation, ou donne des éclaircissements sur les particularités techniques de la construction. En réalité, le dispositif éditorial repose principalement sur l’emploi d’un système graphique dont la cohérence frappe d’emblée en feuilletant le recueil.
L’ouvrage fut conçu comme une anthologie de l’architecture publique nationale dans la première moitié du siècle. Tant par son ambition et par sa qualité éditoriale, que par le caractère relativement inédit de son entreprise, il s’agit de toute évidence d’un des plus importants recueils édités au XIX^e^ siècle. Surtout, il reste sans équivalents dans l’édition d’architecture jusqu’aux ouvrages d’architecture communale publiés par Narjoux dans la seconde moitié du siècle. Toutefois, son projet éditorial et son impact sur la production construite n’ont jamais donné lieu à une étude d’ensemble. Hormis le fait que certains projets aient été jugés dignes de figurer dans un recueil, dans quelle mesure celui-ci est-il représentatif de l’architecture qu’avait non seulement approuvée, mais promue le Conseil des bâtiments civils ? Le Choix témoigne de l’émergence d’une nouvelle typologie de l’architecture publique en même temps qu’il l’accompagne avec ses livraisons successives qui servirent parfois aux architectes de modèles ; mais comment statuer sur le rôle de ces exemples ?
Reconnaissant la place centrale de la réflexion sur les types et les modèles dans l’architecture publique du XIX^e^ siècle, la recherche que je débute vise trois questions principales. D’abord évidemment, restituer l’importance de la publication dans l’histoire de l’édition architecturale de la première moitié du siècle. Ensuite, à partir de l’étude de la sélection d’édifices proposée par le recueil, comprendre comment se définit et s’affirme une typologie d’architecture publique dans le contexte très conjoncturel des commandes. Enfin, en restituant les édifices présentés dans une typologie plus large, identifier à la fois la circulation des formes et la diffusion des types et des modèles.
L’architecture peut être considérée comme une pratique conditionnée et médiatisée par un ensemble de discours spécialisés qui prennent tantôt la forme d’édifice, mais parfois aussi de dessins, de livres imprimés, de journaux, de contrats, ou encore de débats produits à l’intérieur de la communauté architecturale ou à l’extérieur d’elle-même. Il devient alors possible de parler d’une formation discursive de la profession architecturale en tant que discipline. Cette discipline se définit par un ensemble d’objets, de méthodes, un corpus de propositions considérées vraies, le jeu de règles et de définitions, de techniques et d’outils qui forment un système (Foucault 1969). C’est avant tout une institution où des acteurs, architectes ou encore administrateurs, mais encore des écrits ou des représentations graphiques et des constructions, travaillent ensemble et mettent en jeu certains genres de discours.
Dès lors, à l’instar des artefacts construits les ouvrages imprimés ne peuvent plus seulement être envisagés comme le simple reflet de la pratique architecturale et de ses évolutions, mais comme des productions discursives. Ceux-ci ne sont jamais des outils innocents de la pratique, ni même seulement ses résultats. à travers eux, on peut s’intéresser aux discours et à l’institution de l’architecture, en tant que discipline (Pai 2002).
Depuis plusieurs années, le renouvellement des études sur l’édition d’architecture a largement démontré l’intérêt de considérer les produits de l’édition du point de vue historique et matériel, en ce qu’ils traduisent un projet intellectuel (Bouvier 2004 ; Garric, et al. 2008 ; Leniaud & Bouvier 2012 ; Garric, et al. 2011 ; Wittman 2015). Aussi, ces objets éditoriaux ne sont pas seulement intéressants parce qu’ils présentent l’avantage d’offrir au chercheur une sélection d’édifices remarquables, mais aussi par ce qu’ils révèlent de la culture architecturale d’un moment. à la fois outils de travail et source pour les architectes, l’analyse et la connaissance des recueils d’architecture permettent bien sûr d’étudier la diffusion des modèles au XIX^e^ siècle, mais aussi l’état des connaissances architecturales et des styles. Mais, il est également intéressant de les considérer, dans leurs aspects matériels et dans leur contenu, en ce qu’ils traduisent un discours ainsi que Jean-Philippe Garric en a fait une magistrale démonstration pour le cas des recueils d’Italie (2004).
Or, ce recueil propose une approche typologique de l’architecture publique qui accompagne l’affirmation des programmes architecturaux dans la première moitié du siècle. Loin d’être anodine, cette question des types et des modèles fut une question centrale de la théorie architecturale à partir de la seconde moitié du XVIII^e^ siècle (Vidler 1977, 2003 ; Bandini 1984 ; Oechslin 1986 ; Teyssot 1988 ; Madrazo 1995). Si jusqu’à Jacques-François Blondel la question des programmes d’architecture publique avait peu intéressé la production théorique (Davrius 2011 ; Château-Dutier 2017), Jacques-Nicolas-Louis Durand s’empara largement de la question dans une visée utilitariste qui débouchait sur la mobilisation d’une typologie (Szambien 1984 ; Picon 2000 ; Madrazo 1994). Chez Quatremère de Quincy, le type idéal sert en quelque sorte de référence pour construire (1825). L’imitation métaphorique du type devient alors le paradigme de toute l’architecture, elle est symbolique du rapport entre la culture d’une société et son établissement.
Si la théorie architecturale a pour fonction d’énoncer les règles de la bonne architecture, celles qu’il faut respecter pour faire le projet en tant que résultat d’un modèle abstrait et universel, en cherchant « à poser des références objectives et des principes indiscutables », elle permet de débattre d’une « doctrine pour l’action », et devient dès lors efficace pour concevoir le projet, le discuter et le justifier (Epron 1984, 1992). Or, ce débat se déploie à travers la pratique du projet d’architecture, et c’est par son exercice répété, et dans les discussions qu’il entraîne, que s’approfondit la discussion et se construisent les références de l’architecture (Pérouse de Montclos 1984 ; Leniaud 2003 ; Garric 2011 ; Baudez 2012). La multiplication des programmes d’établissements collectifs offerts dans le cadre des concours de l’Académie royale d’architecture fut donc, par l’intermédiaire de la simulation qu’offrait le programme, le lieu d’une réflexion sur le projet architectural qui tenait compte de la question des besoins, et de la commande, ou encore du rendement, de l’efficacité sociale, culturelle, médicale, etc. (Foucault, et al. 1979). En se dotant d’un Conseil des bâtiments civils en 1795, l’état allait se charger de mettre en œuvre une politique architecturale à l’échelle du territoire. à l’instar des exercices académiques, la pratique de l’architecture publique, et l’action du Conseil des bâtiments civils, se réalisent à travers des situations — à chaque fois distinctes et spécifiques — qu’offrent les projets d’édifices des départements (Château-Dutier 2016).
Comprendre la manière dont l’administration envisage son action, suppose donc de considérer la relation dialectique qui se noue entre l’aspect conjoncturel d’un projet architectural donné et un projet plus global dont témoigne le Choix d’édifices publics. Nous nous proposons ainsi, en quelque sorte, de réactiver le projet historiographique engagé par Pevsner avec son histoire des types d’édifices (1976). Une telle approche est naturellement encline à mettre l’accent sur les aspects fonctionnels et iconologiques comme le montrent les diverses études monographiques conduites ces dernières années (Châtelet 1999 ; Laroche & Laget 2012, etc.). Ici, nous abordons la question typologique proprement dite en choisissant un périmètre chronologique et institutionnel plus délimité qui permet de rendre compte du phénomène de spécialisation des types dans toute sa complexité. Il convient notamment d’expliquer le passage d’une théorie du caractère telle que l’exprime Blondel à la fin du XVIII^e^ siècle à une architecture utilitaire qui manifeste l’action édilitaire de l’état et des nouvelles institutions dont se dote alors la France.
à partir de l’étude d’un recueil d’architecture, il s’agit donc de faire l’histoire de la transformation de la discipline architecturale. Ce n’est plus seulement ici se pencher sur les organisations, les groupes d’experts qui émergèrent au sortir de la Révolution, auxquels j’avais consacré ma thèse de doctorat, mais sur ce qui à travers l’équipement permet la reconnaissance d’une pratique sociale légitimée (Teyssot 1978, 1982, 1987 ; Fortier 1978 ; Château-Dutier 2017).
La publication du recueil sera replacée dans le contexte plus large de l’édition architecturale de la première moitié du siècle et donnera lieu à une étude historique approfondie. Comme elle fut publiée à compte d’auteur, plusieurs recherches sont nécessaires dans les archives du Minutier central et dans la sous-série issue du Dépôt légal (F^18^) des Archives Nationales de France. Comme nous avons déjà identifié le notaire de l’auteur principal de la publication Charles-Pierre Gourlier (beau-père de Louis Colas, l’éditeur de la publication), nous avons bon espoir de pouvoir retrouver des contrats relatifs à l’entreprise éditoriale. Plusieurs sondages dans les fonds du Dépôt légal nous ont également déjà permis d’identifier un certain nombre de livraisons. C’est un travail que nous voudrions systématiser car il permet de recueillir des informations sur le tirage et la datation des planches. Enfin, l’ouvrage sera soumis à un examen approfondi du point de vue de sa composition. L’analyse des partis graphiques, des échelles, et de la composition des volumes sera accompagnée de recherches nourries sur les graveurs.
Pour comprendre le discours typologique à l’œuvre dans ce recueil, il nous paraît nécessaire de pouvoir acquérir une fine connaissance des projets architecturaux présentés. Ici, le dépouillement des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils réalisé par le Centre André Chastel nous sera d’un grand secours pour repérer les affaires (Boudon 2009). Nous nous proposons de photographier l’ensemble des procès-verbaux correspondants et d’en donner une édition textuelle pour servir de base à l’analyse. Pour une sélection de cas pertinents, la recherche sera complétée par la consultation, et la photographie, des dossiers d’édifices conservés dans les ensembles départementaux des sous-séries F^13^ et F^21^ des Bâtiments civils (Gastaldi 2011 ; Château-Dutier 2011). Chaque édifice du recueil donnera lieu à la rédaction d’une notice historique complétant les indications souvent sommaires fournies dans les parties textuelles, en identifiant les dispositions critiquées ou saluées par le Conseil des bâtiments civils et les corrections apportées au projet initial.
En parallèle, nous nous proposons de réinscrire les édifices présentés dans ce choix au sein d’une typologie plus large afin de déterminer à la fois les singularités et les filiations existantes avec les partis présentés. Une quantité notable des calques réalisés pour conserver la trace des projets d’architecture publique approuvés par le Conseil des bâtiments civils a été conservée, de surcroît ceux-ci ont été identifiés et sont déjà numérisés et publiés en ligne. Il nous paraît ainsi possible de réinscrire les édifices qui figurent dans le recueil dans des séries qui permettront à la fois de dater l’émergence de certaines compositions ou formation typologique et d’en déterminer le caractère inédit ou encore spécifique. Des recherches iconographiques ponctuelles compléteront, là où cela s’avérera nécessaire, la documentation ainsi réunie.
Au terme de la recherche, outre diverses actions de valorisation et la soumission d’articles dans des revues à comité de lecture, nous nous proposons d’établir une édition critique numérique du Choix d’édifices publics. Le recueil fera l’objet d’une numérisation haute définition à partir de notre exemplaire personnel qui sera réalisée en utilisant le numériseur dont notre groupe de recherche a fait l’acquisition (Graphics). L’ouvrage, muni d’une présentation générale, sera accompagné d’une introduction détaillée pour chacune des sections typologiques du volume. Nous privilégions une édition numérique afin de pouvoir mettre à la large disposition des chercheurs les matériaux textuels traités et l’iconographie libre de droits collectée dans le cadre de la recherche.
Le projet est réalisé sur une période de trois ans, en séquences successives qui s’articulent les unes avec les autres.
2018
- Recherches bibliographiques
- Modélisation de l’édition critique et mise en place des dispositifs de collecte
- Séjour de recherches aux archives
- Transcriptions des Procès-verbaux
- Production des notices
2019
- Séjour de recherches aux archives
- Transcriptions des Procès-verbaux
- Production des notices
2020
- Production des notices et réécriture
- Conception de la publication finale
- 2e vague de développements informatiques
- Rédaction des synthèses
Afin de faciliter la mise en œuvre technique du projet et l’utilisation de standards ouverts pour l’exposition des métadonnées sous forme de données liées, nous envisageons l’utilisation du logiciel OmekaS (https://omeka.org/s/). Ce gestionnaire de contenu libre et open source de nouvelle génération permet de renseigner diverses entités historiques (personnes, textes, œuvres, etc.) en se référant à des référentiels numériques partagés et des standards de description ouverts.
Le logiciel a en particulier été conçu pour des chercheurs en histoire ou en sciences humaines. Ses interfaces simples d’utilisation et ses modules de gestion des droits d’utilisateurs permettent d’envisager l’implication des étudiants et un travail collaboratif sur le projet. Enfin, sa grande flexibilité autorise des développements techniques pour configurer un module de publication qui met réellement en valeur les contenus publiés à travers un dispositif expositionnel numérique.
Le site web mis en œuvre dès le commencement du projet avec OmekaS servira de site vitrine pour communiquer sur le projet par l’intermédiaire d’un blog et d’une valorisation sur les réseaux sociaux. En parallèle, ce site offrira surtout un espace de travail pour le traitement des sources textuelles et du matériel iconographique. À terme, il sera destiné à accueillir progressivement l’ensemble de la publication.